Tout le monde doit être heureux. Le feed-back doit toujours être positif. Et nous devons faire en sorte que tout le monde soit d’accord sur la voie à suivre. C’est la raison pour laquelle il faut surtout investir auprès des personnes qui éprouvent des difficultés. Dans une interview avec MT.be, nous passons au crible cinq idées fausses sur la gestion du personnel et les ressources humaines.
Cinq idées fausses sur la gestion du personnel et les ressources humaines
02-08-2021#1 En cas de changement, il faut se focaliser sur ceux qui ne sont pas d’accord
Lors de réorganisations ou d’autres transformations, les responsables commettent parfois l’erreur d’accorder trop d’attention aux personnes qui ont une attitude négative à l’égard du changement et s’entêtent à traîner les pieds. Ces personnes exigent souvent une grande attention, et l’obtiennent bien souvent.
« En effet, beaucoup d’énergie est consacrée à des personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas suivre le changement », observe Wout Van Impe, directeur et associé de Mercuri Urval. « Lors de changements, il y a toujours certaines personnes qui entraînent les autres et les inspirent. Considérez-les comme la tête d’un serpent. Vient ensuite le corps, constitué des suiveurs, qui s’adaptent facilement à la situation, qu’elle soit positive ou négative, et des personnes qui opposent une résistance. Suiveurs et résistants font donc partie des mêmes rangs. Dans la queue du serpent, on retrouve enfin les saboteurs, les cas désespérés. »
« Près de 90 % des managers et chefs d’équipes déclarent que la plus grande partie de l’énergie part dans la queue du serpent : il est très difficile de les faire adhérer au changement en tant que manager. » Le temps que vous leur consacrez, vous ne le consacrez pas à la tête du serpent, alors que c’est justement là que votre impact est le plus important. « En tant que manager, c’est aussi ce qui vous donne le plus d’énergie », continue Wout Van Impe.
« Accordez votre attention à la tête et aux suiveurs et vous verrez que vous aurez beaucoup plus d’impact. Ceux qui opposent une résistance seront pour ainsi dire marginalisés, ils verront qu’ils sont seuls et finiront par se montrer conciliants. Il faut bien sûr d’abord tenter de faire adhérer au changement les personnes qui ne sont pas d’accord en leur posant des questions et en cherchant à savoir les raisons qui les poussent à résister, ce qui les inquiète vraiment.
Pour Charlotte Meiresonne (en photo), responsable des ressources humaines de l’entreprise spécialisée dans le placement de talents Accent, l’aspect émotionnel joue également un rôle considérable. « Je fais preuve de beaucoup de compréhension lorsque je rencontre de la résistance au changement comme première réaction », explique-t-elle. « Si vous procédez à des changements, il faut laisser les émotions monter à la surface. Nous avons tous besoin de temps pour comprendre les avantages du changement. »
« Il y a évidemment des limites, mais vous pouvez entre autres être honnête et transparent dans vos communications au sujet des changements et de leurs conséquences pour les collaborateurs », continue-t-elle. « Nommer ces implications leur donne l’occasion de choisir s’ils veulent participer au changement ou non. Et vous devez au moins tenter de les faire changer d’avis. Si rien n’a évolué après la résistance initiale, n’y consacrez pas plus d’énergie. Si certains ne veulent pas y participer, il faut oser le dire et ajouter qu’ils ne sont peut-être plus adaptés à l’organisation. » Wout Van Impe est tout à fait d’accord.
#2 Les employés les plus performants tirent bien leur plan
En dehors des processus de changement ou des transitions, il s’avère que de nombreuses entreprises investissent très peu d’énergie dans leurs meilleurs éléments. Tout comme en période de changements, ce sont les « cas difficiles » qui demandent le plus d’attention. Bien souvent, c’est parce que les dirigeants ont l’impression que les bons travailleurs n'ont pas besoin de conseils ou de soutien.
« Ce n’est évidemment pas le cas », mentionne Wout Van Impe. « Vos meilleurs éléments veulent évoluer, mais c’est impossible s’ils doivent tirer leur plan tout seuls » Comme pour les processus de changement, votre entreprise obtiendra de bien meilleurs résultats si vous investissez votre énergie, votre temps et votre argent dans les personnes les plus performantes, celles qui veulent aller de l’avant.
« Il vaut mieux dire au revoir aux personnes non performantes le plus rapidement possible », explique Wout Van Impe. « L’impact de leur départ sur les performances globales est gigantesque. Je ne dis pas que vous ne devez pas tenter de les aider. Mais la plupart des entreprises les gardent beaucoup trop longtemps en leurs murs. »
« Les personnes les plus performantes doivent faire l’objet d’une attention suffisante, car elles sont avides de connaissances, de responsabilités. Cette soif doit être étanchée par de nouveaux défis, par des formations », explique Charlotte Meiresonne. « Il s’agit aussi des mêmes personnes que vous ne voulez pas voir quitter l’entreprise. C’est pourquoi vous devez continuer à leur offrir des défis et des perspectives. Les travailleurs qui ont difficile cherchent à être soutenus pour pouvoir réussir dans ce qu’ils font aujourd’hui. Il faut aussi leur accorder suffisamment d’attention. »
#3 Le feed-back doit toujours être positif
De même, les dirigeants font souvent l’erreur de diriger en grande partie leur feed-back sur les personnes moins performantes. Et ils leur donnent souvent un feed-back positif. C’est ce qui se dit : le feed-back doit être motivant et constructif et se concentrer sur ce que la personne effectue déjà correctement, et non sur ses faiblesses et ses erreurs.
« Le feed-back doit d’abord et surtout être honnête », nous dit Charlotte Meiresonne. « Je suis convaincue des bienfaits des retours positifs, mais un feed-back qui n’est pas sincère ne sert à rien. Les individus prennent très vite les commentaires négatifs personnellement, ce qui peut s’accompagner de réactions émotionnelles. Mais ça fait partie du jeu, et c’est comme ça que nous évoluons. »
« Ne donner que du feed-back positif n’a aucun sens », commente Wout Van Impe. « Vos travailleurs les plus performants apprennent d’ailleurs le plus quand vous leur donnez un feed-back négatif. Ils tirent alors les leçons de ce qui ne s’est pas bien déroulé, ce qui est la seule façon pour eux d’évoluer », ajoute-t-il. « Vous ne les aidez pas en ne leur donnant que des commentaires positifs. Cela ne veut évidemment pas dire que vous ne devez pas être respectueux dans votre manière de donner ce feed-back négatif. »
« Wout a raison », confirme Charlotte Meiresonne. « Un travailleur moins performant cherche peut-être une confirmation qu’il fait bien les choses, car il est peu sûr de lui. Mais les personnes les plus performantes savent très bien ce qu’elles font correctement, pas besoin de leur dire. Elles veulent savoir ce qu’elles peuvent encore améliorer et, pour ce faire, il faut leur dire ce qui ne va pas bien. »
#4 Lors du recrutement, il faut que les valeurs et la culture de l’entreprise correspondent à celles du candidat
Les talents se font rares ; les entreprises se concentrent donc principalement, lors du recrutement, sur les valeurs et la culture d’entreprise. Tant que la culture et les valeurs de l’entreprise correspondent à celles des candidats, nous pouvons développer les compétences de nos nouvelles recrues par la suite, dit-on.
C’est en partie vrai, mais les compétences restent importantes. « L’idéal est d’allier compétences, valeurs et culture », déclare Wout Van Impe. Pour les postes juniors, l’adhésion à la culture d’entreprise est importante. Ceux qui entament leur carrière n’ont pas encore beaucoup d’expérience et doivent développer de nombreuses compétences. « Mais, pour le recrutement de personnes qui ont déjà de nombreux kilomètres au compteur, outre l’adhésion à la culture d’entreprise, l’expérience et les compétences sont déterminantes. »
Chez Accent, nous croyons en cette comptabilité culturelle. « Engagez une attitude, non des compétences : voilà ce qui est essentiel pour nous. Vous pouvez tant réaliser avec des personnes qui ont l’envie de réussir. Et nous comptons dans nos rangs de nombreux jeunes, ce qui a très certainement un impact considérable.
Les compétences restent évidemment plus importantes que l’attitude pour certains emplois ou lorsque vous recherchez un CFO pour une grande entreprise. Cependant, même dans ce cas, la compatibilité culturelle reste elle aussi essentielle. Vous pouvez effectuer parfaitement vos tâches, mais si vous ne vous sentez pas à l’aise dans l’entreprise pour laquelle vous travaillez, vous ne ferez pas long feu.
#5 Tout le monde doit être heureux
Tant selon Wout Van Impe que Charlotte Meiresonne, les ressources humaines souffrent actuellement d’un fétichisme de la positivité. « On ne peut surtout plus dire que ça ne va pas », constate Charlotte Meiresonne. « Nous devons être heureux et déborder d’enthousiasme, nous donner toujours à fond dans notre travail, nous amuser tout le temps. Ce n’est évidemment pas le cas. Cela sonne peut-être creux, mais je pense vraiment qu’il faut pouvoir être soi-même au travail. Dans les bons moments, comme dans les moins bons. Chez Accent, nous sommes très clairs là-dessus : tout le monde doit être soi-même. Mes collègues rencontrent la même version de moi-même que ma famille. »
« Il existe en effet une dictature du positif au sein des ressources humaines », approuve Wout Van Impe. « Tout le monde doit être partant, tout le monde doit être heureux. Le bien-être des employés est en effet essentiel et vous devez y contribuer en tant qu’entreprise. Mais le bonheur relève aussi de la responsabilité personnelle. Vous ne pouvez pas tout mettre sur les épaules des managers et dirigeants. Si vous lisez les réseaux sociaux, il semble que les employés n’ont aucune responsabilité dans leur propre bien-être professionnel. Peu de responsables RH osent le dire haut et fort. »
Selon Wout Van Impe, tout ce qui a trait au bien-être fait l’objet d’une attention disproportionnée. « Vous devez donner à vos employés l’opportunité de se développer et c’est une bonne chose s’ils se sentent bien au travail. Tentez bien sûr de veiller à ce qu’ils soient motivés, mais le travail ne doit pas forcément être une partie de plaisir tous les jours. »
« Je comprends le fait de flirter autant avec la positivité », nous dit Charlotte Meiresonne. « J’aimerais bien, moi aussi, n'entendre que des hourras dans mon entreprise. Mais est-ce réaliste ? Non. Il s’agit là d’un rêve, d’une utopie. Il faut en être conscient et nous devons avoir la possibilité de râler. »